Intervention de Nicolas Dupont-Aignan à l' Assemblée Nationale
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j’ai envie de dire à Mme Marland que j’aime les artistes autant qu’elle.
J’aime autant qu’elle la création. Je suis absolument convaincu que si l’on veut vraiment les défendre, il ne faut pas les mettre dans une impasse mais prendre acte de la révolution numérique pour asseoir leur mode de rémunération sur la réalité du monde d’aujourd’hui, celle du XXIe siècle et non pas celle des années quatre-vingts.
C’est pourquoi, madame la ministre, je suis au regret de vous dire que je combats vote projet de loi.
Vous n’avez pas voulu entendre les députés de tout bord, y compris ceux issus de la majorité qui n’ont pas droit à la parole ce soir, qui vous ont mis en garde contre le caractère inapplicable de votre projet : il sera bien évidemment contourné par quantité de procédés déjà au point comme le simple échange de clefs USB.
La réalité de la révolution numérique l’emportera et nous devrons nous réunir une troisième fois, j’en prends le pari ici, pour examiner la vraie question de la rémunération des auteurs et des créateurs dans le monde d’aujourd’hui.
Vous n’avez pas voulu non plus entendre ceux qui sont attachés à un certain État de droit, mais là aussi, les faits vous donneront tort. Le Conseil constitutionnel, j’en prends encore le pari, rappellera que la justice n’est pas encore privatisable.
Vous n’avez pas davantage voulu entendre les fournisseurs d’accès qui vous ont alertée sur le coût exorbitant d’un système de contrôle portant sur des millions de connexions et des milliards d’échanges. Cela représentera un coût de 10 millions d’euros au minimum pour les FAI, qui sera bien évidemment répercuté sur les usagers alors que cette somme aurait été plus utile si elle avait été consacrée à la fameuse création que vous prétendez défendre.
Vous n’avez pas voulu entendre les millions de Français internautes qui se demandent sincèrement comment un gouvernement peut être aussi aveugle sur l’opportunité historique que représente cette révolution numérique pour la diffusion culturelle.
Vous aviez la chance de pouvoir offrir à chaque foyer une médiathèque universelle, d’inventer un système de rémunération des auteurs, des artistes, des créateurs digne de notre époque et digne de cet atout. Mais vous avez préféré, par esprit de cour, pour plaire et complaire, suivre quelques vedettes vieillissantes qui ne veulent pas s’adapter au monde d’aujourd’hui.
Vous n’avez pas non plus voulu entendre les artistes, ceux qui ne sont pas manipulés par les majors qui inspirent votre texte, car il n’y a pas d’un côté, contrairement à ce que vous avaient dit certains, les méchants pirates, et de l’autre les gentilles vedettes du spectacle. Il y a différentes catégories d’artistes. Et il y en a beaucoup – et ils sont de plus en plus nombreux et vous le savez très bien au fond de vous-même, madame la ministre – qui ont compris cette révolution, qui savent qu’il faut inventer ce nouveau modèle de rémunération et que le système dont veulent les rendre prisonniers les majors est et sera condamné par les faits.
Faute de prendre acte de ce changement technologique maintenant, faute d’inventer maintenant ce système adapté de rémunération, vous condamnez les artistes dans leur ensemble à subir de plein fouet le changement de fonctionnement. Vous croyez les défendre et vous les entraînez dans une impasse.
D’ailleurs, et c’est là le grand paradoxe mes chers collègues, ceux que vous servez vous ont déjà condamnés. Jacques Attali, qui est lucide sur ce dossier, même si je ne suis pas du tout d’accord avec lui sur nombre d’autres sujets, a écrit à nouveau un texte remarquable et je ne résiste pas au plaisir de vous le lire, si Mme la ministre veut bien m’écouter.
« Les majors qui ont déjà compris que la loi HADOPI ne marchera pas sont en train de mettre en place la licence globale à leur seul profit en se préparant à offrir des abonnements spécifiques sur Internet qui permettront d’avoir accès à la totalité de leur catalogue pour un prix forfaitaire sans que chacun paie pour la chanson ou le film qu’il télécharge.C’est exactement la licence globale qu’ils font semblant de refuser par ailleurs. Les artistes en seront écartés s’ils ne sont pas dans ces catalogues et même s’ils en sont ils n’en auront que les miettes ».
J’ai regardé ce matin quels étaient les films disponibles sur le portail de Free, deuxième fournisseur d’accès national. Madame la ministre, il n’y a pas un seul film français, que des films américains. C’est cela que vous nous proposez pour l’avenir de la création française ?
Je vous le dis, votre projet ne répond qu’à une seule logique : fort avec les faibles, faible avec les forts. Vous osez qualifier cela de régulation alors que vous déléguez la vie culturelle de votre pays à quelques majors qui sont condamnés par l’histoire. Nous nous retrouverons pour débattre du futur troisième projet de loi sur la rémunération des auteurs !